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les mille et une nuits à Saint-Quay-Portrieux


La villa mauresque

« Pavillon turc », « villa mauresque, c’est ainsi que les habitants de Saint-Quay-Portrieux baptisèrent cette surprenante construction apparue sur les hauteurs de la falaise dans les années 1880. Elle est appelée également « château de Calan », du nom de celui qui l’a fait édifier, le Comte Victor Eugène de Lalande de Calan (1810-1899).

Chapelle Sainte-Anne Saint-Quay-Portrieux

Né dans les Côtes du Nord (d’Armor), à Plélo, entre Saint-Brieuc et Guingamp, et résidant dans l’est de la France, non loin de Nancy, le comte de Calan mena une carrière militaire. Retiré du service, à partir de 1872 et pendant les années qui suivirent, avec son épouse, il fit l’acquisition de diverses petites parcelles nues permettant de constituer le terrain de leur futur domaine, entre ciel et mer.

Les raisons des choix architecturaux des époux Calan sont inconnues. Militaire de carrière, ses états de service ne mentionnent pas de poste à l’étranger. Mais le courant orientaliste était à la mode en cette fin de 19e siècle. N’avait-il pas inspiré et même fasciné des peintres et des écrivains comme Eugène Delacroix et Pierre Loti, par exemple ? Les dates exactes de la construction restent imprécises, et nous ne connaissons pas le nom du maître d’oeuvre.

Vers 1880, la Villa Kermor se dresse fièrement au bord de la falaise. Elle est une des premières maisons de villégiature à Saint-Quay-Portrieux. C’est une construction de forme rectangulaire, en granite et schiste, avec un étage de soubassement, un rez-de chaussée surélevé et un étage couvert d’une toiture-terrasse dominée côté mer par une tour polygonale coiffée d’un bulbe en zinc.

Tous les détails architecturaux, fenêtres en ogive ou percées de baies à arc brisé, à encadrements de briques rouges, tour surmontée d’un bulbe (qui servait de réservoir d’eau), lui donnent un style résolument oriental et en font un ouvrage étonnant dans le paysage breton. Il constitue un des joyaux du patrimoine quinocéen. A l’intérieur, les lambris, plafonds à caissons et vantaux des portes sont ornés de décors de style mauresque sur bois ou plâtre.

La famille y séjourne à une époque où Saint-Quay-Portrieux voyait juste naître sa vocation balnéaire et touristique. Le train était arrivé à Saint-Brieuc en 1863, mais il fallait entre 2 et 3 heures de diligence pour rejoindre le Portrieux. Le chemin de fer de l’ouest ne desservira Portrieux et Saint-Quay qu’à partir de 1905. Jusqu’à cette date, en été, ce village était fréquenté par quelques familles de la bourgeoisie ou de l’aristocratie locale et quelques artistes. Eugène Boudin (1824-1898) y viendra 11 fois entre 1868 et 1897 – comme le raconte le panneau « Eugène Boudin » sur le port.

Quelques années après la mort du Comte de Calan, en 1909 sa veuve cède la propriété à sa fille et à son gendre qui vont considérablement l’agrandir et l’embellir.


La seconde vie de la villa Kermor

Tout en continuant les acquisitions de terrains permettant de compléter le parc, les nouveaux propriétaires mènent de grands travaux : 

Conservant son aspect « mauresque », la villa est agrandie, flanquée de bow-windows sur les façades latérales, et entourée d’une vaste terrasse à balustrades sous laquelle sont aménagées des citernes pour stocker l’eau recueillie sur la toiture. Cette eau est ensuite remontée par pompage dans la citerne du bulbe de la tourelle et redistribuée à l’intérieur (ce dispositif n’est plus en fonction aujourd’hui !) Dans les années 1920, une grande terrasse est réalisée côté mer. 

    Pour le décor intérieur du château, ils font appel à Isidore Odorico père (1842-1912), célèbre mosaïste d’origine italienne installé à Rennes. Il réalisera un ensemble de mosaïques de marbre couvrant la totalité du sol du rez de chaussée et les couloirs et salles d’eau des étages. 

    Vous pouvez voir en vidéo le magnifique décor du hall d’entrée : multiples quadrilobes emboîtés d’une grande richesse chromatique (brun-rouge, jaune-ocre, bleu-vert, noir, gris sur fond blanc) qui compense le manque de lumière dans ce hall.

      Il est très probable que les soubassements en béton des terrasses et les sols qui recevront les mosaïques aient été réalisés par Louis Harel de la Noé (1852-1931), ami de la famille, ingénieur des Ponts et Chaussée et condisciple de Fulgence Bienvenue, père du métro parisien. Louis Harel de la Noë a conçu et dirigé la plupart des ouvrages d’art liés au développement des chemins de fer dans le département. 


      Les années 80 et l’inscription à l’inventaire des Monuments Historiques

      En 1955, les descendants de la famille Calan vendent la propriété. Elle passera entre plusieurs mains sans modifications majeures, jusqu’à ce que, pour rentabiliser son acquisition, un nouvel acquéreur lui adjoigne en 1980 une partie hôtelière qu’il exploitera lui-même pendant quelques années. Puis la partie hôtelière seule sera revendue. La Villa Kermor reste une propriété privée, distincte de la partie hôtelière.

      Les mosaïques, associées à l’originalité du bâtiment, ont valu à la Villa Kermor d’être inscrite en totalité à l’inventaire des Monuments Historiques en 2018.

      Elle est en effet un des seuls témoignages restants en Bretagne de cette vogue orientaliste, et l’ensemble de mosaïques d’Isidore Odorico père est, dans le registre des bâtiments d’habitation, comme le précise le rapport de la Direction Régionale des Affaires Culturelles qui a conduit à son inscription en 2028, « l’un des plus aboutis, des plus complets et des mieux préservés » …