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les ODORICO, mosaïstes venus d’Italie en Bretagne


La technique de la mosaïque

La mosaïque est un art décoratif dans lequel des « tesselles », fragments de pierre, d’émail, de verre ou de céramique sont assemblés à l’aide de mastic ou d’enduit pour former des motifs. 

Très utilisée pendant l’antiquité et au moyen Age particulièrement par les byzantins et les italiens, cette technique était tombée presque dans l’oubli en France jusqu’à ce que Charles Garnier la remette à l’honneur pour la décoration de son opéra inauguré en 1875.
Il confia la réalisation des merveilleuses mosaïques polychromes de l’opéra Garnier, sols et voûtes de l’avant foyer d’inspiration byzantine, au mosaïste italien Gian Domenico Faccina.

Chapelle Sainte-Anne Saint-Quay-Portrieux
Mosaïque opéra Garnier

Ce fut le renouveau des mosaïques qui à partir de la fin du 19e siècle connurent un grand succès partout en France, grâce à leurs qualités décoratives et à leur résistance. Elles étaient réalisées principalement par des artisans italiens venus de la province du Frioul, proche de Venise et de Ravenne, où une tradition de pavage et de mosaïque très ancienne s’était transmise au fil des siècles, de génération en génération.

Chapelle Sainte-Anne Saint-Quay-Portrieux

Les Frioulans avaient développé une technique particulière utilisée par Faccina, appelée « la pose à revers ». Au lieu de réaliser les mosaïques en pose directe, c’est-à-dire en insérant les tesselles une à une dans le mortier, ils préparaient les différents panneaux en atelier. Le décor était dessiné grandeur nature sur un papier fort, et les tesselles collées à l’envers sur le papier. Les différentes parties du décor ainsi préparées en atelier étaient transportées sur le chantier où une autre équipe les assemblait dans le mortier frais. Une fois le mortier sec, le papier était retiré et le décor apparaissait à l’endroit… Grâce à cette technique, les frioulans réduisirent considérablement le temps et le coût de réalisation des mosaïques, une des raisons de leur succès ! 

Chapelle Sainte-Anne Saint-Quay-Portrieux
   La pose à revers

Isodore Odorico « père » 1845-1912 : du Frioul à la Bretagne

Isodore Odorico « père » et son frère Vincent, mosaïstes frioulans, arrivèrent en France avec l’équipe de Gian Domenico Faccina pour participer à la réalisation des décors de l’opéra Garnier.
A l’issue du chantier ils décidèrent de rester en France, d’abord à Tours puis à Rennes où ils créèrent leur entreprise en 1882. Rennes se développait, particulièrement autour du quartier de la nouvelle gare. Travaillant avec des architectes et des cimentiers, les deux frères proposaient avec grand succès à leur clientèle des décors en mosaïque à la manière vénitienne ou romaine et des dallages très adaptés aux lieux publics, cages d’escalier et entrées d’immeubles, des « paillassons », des décors de façades pour immeubles et commerces, qui ornent toujours la ville de Rennes et nombre d’autres villes bretonnes comme Saint Malo ou Dinard. Ils réalisèrent aussi les décors de nombreux hôtels particuliers et des décors pour des églises : sols de chœur et gradins d’autels. 

Chapelle Sainte-Anne Saint-Quay-Portrieux

    Si leurs décors restaient de facture assez classique, géométrique ou floraux, la réalisation était d’une qualité et d’un savoir-faire exceptionnels.

    Parmi les plus belles réalisations, citons la banque Loyer dans l’hôtel de Farcy à Rennes, et surtout la villa Kermor à Saint-Quay-Portrieux, où Isidore Odorico père composa vers 1909 son ensemble de décors considéré comme le plus abouti.
    Admirez ce vestibule entièrement composé de marbres blancs, verts, gris-bleus, ocres et noirs. Le sol est couvert d’une grande composition géométrique à motifs de fleurons quadrilobés.
    Dans les autres salles et couloirs, le décor plus sobre laisse la primeur à la vue privilégiée.

         Banque Loyer à Rennes
    Hall d’entrée de la Villa Kermor – Saint-Quay-Portrieux

    Isidore odorico « fils » (1893-1945) : vers le style Art-déco

    Isidore Odorico « fils » est né à Rennes. Depuis son plus jeune âge, accompagnant son père et son oncle il acquiert leur technique. A la fin de la première guerre mondiale, après avoir complété sa formation à l’école des beaux-arts de Rennes, il prend les rênes de l’atelier familial avec son frère, prénommé Vincent comme son oncle. 

    Jusqu’à son décès en 1934, Vincent se charge de la gestion de l’entreprise et Isidore des aspects artistiques et techniques. Puis Isidore devient l’unique patron.
    Très influencé par les travaux de la sécession viennoise et les courants picturaux de son temps, il adapte la technique de la mosaïque au style Art déco et réussit à imposer son style personnel.
    Considérant la mosaïque comme partie intégrante de l’architecture, il diversifie les matériaux et les choisit en fonction de la surface à revêtir, marbres, grès cérame et pierres dures pour les sols, pâtes de verre, émaux, smaltes d’or et d’argent pour les parois. Ses décors originaux et uniques, souvent très colorés, mêlant figures géométriques et éléments végétaux ou animaux, séduisent la clientèle en quête de nouveauté. Par sa facilité d’entretien, la mosaïque permet aussi de répondre aux nouvelles normes d’hygiène. 

      Les commandes affluent, l’entreprise s’agrandit, ouvre des succursales dans d’autre villes de l’ouest et devient l’une des plus importantes du Nord-Ouest de la France. L’organisation du travail est très rigoureuse. Isodore Odorico est considéré comme le chef de file des mosaïstes de l’ouest. 

      Il est lié avec nombre d’artistes et d’architectes, d’entrepreneurs et d’édiles locaux et obtient des commandes tant publiques que privées. 

      – Commandes publiques : bureaux de poste, halls de gare, bassins de piscines, bains-douches, fontaines, cités universitaires, crèches, hôpitaux…

      – Commandes privées pour entreprises et immeubles : façades et frontons d’entreprises et d’immeubles, halls d’entrée, façades et intérieurs de commerces…

      – Décors d’églises, par exemple, les mosaïques de la chapelle de la Maison diocésaine Saint-Yves à Saint-Brieuc, ancien Grand séminaire construit en 1927.

      – Ainsi que des réalisations d’exception pour des demeures privées avec souvent des décors de salle de bain remarquables. 

      La maison bleue – Angers – détail de la façade
      Foyer des étudiants – Rennes
      Gare de Dinan
      Foyer des étudiants – Rennes
      Chapelle de la maison Saint-Yves – Saint-Brieuc
      Chapelle de la maison Saint-Yves – Saint-Brieuc
      Chapelle de la maison Saint-Yves – Saint-Brieuc

        Mobilisé pendant la seconde guerre mondiale, Isidore Odorico revient très affaibli en 1944 et décède en 1945, à 52 ans.

        Après son décès, l’entreprise continue jusqu’en 1978, mais la mode a changé, le temps de la splendeur est passé. 

        Tout près d’ici, à Etables sur Mer, la villa Le Caruhel construite vers 1913, agrandie en 1920 est décorée de ferronneries de Edgar Brandt et Raymond Subes et de mosaïques réalisées par Isidore Odorico fils, sur les dessins de Mathurin Meheut inspirés de la flore et de la faune sous-marine. Des frises murales de Roger Reboussin complètent l’ensemble, hymne à ce qui peuple la mer. La villa est inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques depuis le 13 juin 1986. C’est une propriété privée. 

         Villa le Caruhel – Etables sur mer.
        Villa le Caruhel – Etables sur mer.

        Ainsi les Odorico père et fils auront embelli l’un la villa Kermor et l’autre la villa Caruhel, séparées d’à peine plus d’1km à vol d’oiseau !

        La plupart des éléments et images concernant Odorico sont extraites de l’ouvrage : « Odorico, l’art de la mosaïque » de Capucine Lemaître
        Editions Ouest France – 2023.Photographies de Hervé Ronné.